M. Weber La thèse de Max Weber est celle de l'adéquation significative entre l'esprit du capitalisme et l'esprit du protestantisme. Ramenée à ses éléments essentiels, elle se présente ainsi : Il est conforme à l'esprit d'un certain protestantisme d'adopter à l'égard de l'activité économique une attitude elle-même conforme à l'esprit du capitalisme. Il y a une affinité spirituelle entre une certaine vision du monde et un certain style d'activité économique. L'éthique protestante à laquelle s'attache Max Weber est essentiellement la conception calviniste qu'il résume en cinq propositions en s'inspirant notamment du texte de la Confession de Westminster de 1647. - Il existe un Dieu absolu, transcendant, qui a créé le monde et qui le gouverne, mais qui est insaisissable à l'esprit fini des hommes. - Ce Dieu tout-puissant et mystérieux a prédestiné chacun de nous au salut ou à la damnation sans que, par nos oeuvres nous puissions modifier un décret divin pris à l'avance. - Dieu a créé le monde pour sa propre gloire. - L'homme, qu'il doive être sauvé ou damné, a pour devoir de travailler à la gloire de Dieu et de créer le royaume de Dieu sur cette terre. - Les choses terrestres, la nature humaine, la chair, appartiennent à l'ordre du péché et de la mort, et le salut ne peut être pour l'homme qu'un don totalement gratuit de la grâce divine. Tous ces éléments, précise Max Weber, existent dispersés dans d'autres conceptions religieuses, mais la combinaison de ces éléments est originale et unique. Et les conséquences en sont importantes. Une vision religieuse de cet ordre exclut d'abord tout mysticisme. La communication est à l'avance interdite entre l'esprit fini de la créature et l'esprit infini du Dieu créateur. Cette conception est pareillement antiritualiste et incline la conscience vers la reconnaissance d'un ordre naturel que la science peut et doit explorer. Elle est donc indirectement favorable au développement de la recherche scientifique et contraire à toutes les formes d'idolâtrie. " Ainsi, dans l'histoire des religions, trouvait son point final ce vaste processus de " désenchantement " (Entzauberung) du monde qui avait débuté avec les prophéties du judaïsme ancien et qui, de concert avec la pensée scientifique grecque, rejetait tous les moyens magiques d'atteindre au salut comme autant de superstitions et de sacrilèges. Le puritain authentique allait jusqu'à rejeter tout soupçon de cérémonie religieuse au bord de la tombe; il enterrait ses proches sans chant ni musique, afin que ne risquât de transparaître aucune " superstition ", aucun crédit en l'efficacité salutaire de pratiques magico-sacràmentelles. " (Ibid., p. 121-122). Dans ce monde de péché, le croyant doit travailler à l'oeuvre de Dieu. Mais comment? Sur ce point, les sectes calvinistes ont donné des interprétations différentes. L'interprétation favorable au capitalisme n'est ni la plus originale, ni la plus authentique. Calvin lui-même s'est efforcé d'édifier une république conforme à la loi de Dieu. Mais une autre interprétation est au moins concevable. Le calviniste ne peut pas savoir s'il sera sauvé ou damné, or c'est là une conclusion qui peut devenir intolérable. Par un penchant non pas logique mais psychologique, il cherchera donc dans ce monde les signes de son élection. C'est ainsi, suggère Max Weber, que certaines sectes calvinistes ont fini par trouver dans le succès temporel, éventuellement le succès économique, la preuve du choix de Dieu. L'individu est poussé au travail pour surmonter l'angoisse dans laquelle ne peut pas ne pas l'entretenir l'incertitude de son salut. M. Weber, cité par R. Aron, Les étapes de la pensée sociologique, Gallimard, 1967, pages 537-538. |